16 mai 2006

Retour au Figth Club...

Shaman neuromancien de la littérature, artiste martial passé par l’antre de Cadmos, Chuck Palahniuk, et Tyler Durden, son ombre gémellaire en chute libre, sont comme les deux roches cyanées de la modernité. Passage oblique, logique transversale, qui permet de survivre à la mer Ténébreuse, mais le périple du navire Argô à un prix, celui de Médée… Vision du nihilisme occidental, rébellion altermondialiste avant la lettre, Pythie du 11 septembre 2001… Fight Club aura fait couler la bave et l’encre. Les laudateurs et les scandalisés de la première heure apportaient finalement les mêmes offrandes à l’autel de la suffisance. Pour, au final, se perdre dans l’écume des minables. Tyler Durden n’est pas un rocker suicidaire, pas un guérillero masqué, ni même le cheikh de la Terreur … Aucun de ces archétypes de la postmodernité n’a jamais pratiqué de combats de boxe à mains nues… Point barre, et le jeu de barres n’est pas fait pour les mauviettes... Les sanglants pankrations du Fight Club , sont les postulats blessés nés de la théorie des gueules cassées. Barres, jeu de mains, point barre. Le combat est la réalité. Les fantasmes poético terroristes de l’Anarque Durden sont des visions mystiques, floues, rêvées, imaginées… Rien d’autre que l’imago d’un monde qui n’existe plus face à l’ultime réalité. Et cette réalité, puisqu’il faut l’asséner comme un uppercut, c’est le combat… Rien d’autre. Le livre de Palahniuk est l’histoire d’une ascèse martiale au delà du nihilisme. Tyler Durden est le Bouddha des rings, Trikster et Bodhidharma des bas fonds, agitateur de la génération x, Tengu des mégaplopolis… On pourrait en poussant plus loin les analogies, qui pour certains, sentent déjà le soufre, esquisser dans la personnalité Baphométique de Durden, l’évocation d’une trinité Dumézilienne ou le paysan, le prêtre et le guerrier, s’unissent dans une monstrueuse symbiose. Soufre et morve au nez. Éclatement de la réalité sociale, mythique et historique. Fission nucléaire de la famille, ontogenèse expérimentale, clonage sémiotique… Fight Club bouleverse l’ordre et le désordre par l’évocation de l’œil de bronze qui fixe impitoyablement ses ennemis. Pourtant, il ne s’agit de rien d’autre que d’un coup de poing. Lourdeur du raisonnement : asséner et insinuer en même temps, la frappe et l’insupportable éclatement des lèvres? La soudaine érection de « Tyler Durden » dans la « Hype » occidentale n’était en réalité que le résultat d’une lente mutation, macération, ou digestion. Cuisine au beurre noir. On ne fait pas d’omelettes sans casser des yeux. Plat monstrueux à la Odilon Redon. Stimulant majeur overdosé pour artiste décadent. Mais les cœurs sensibles peuvent-ils boire la vodka noire au goulot sans crier au viol du palais ? Ces fameux laudateurs de Fincher ( connaissaient-ils Chuck Palahniuk?), singes hurleurs médiatiques, verts de peur devant les images « ignobles, ma chérie » des premiers combats des Ultimate Figthing… Alors que les charniers de Bosnie voyaient déjà poindre la honte de Srebrenitsa. Pas même un tremblement pour lâcher le caviar quand madame mange le phare. La honte du bleu. « Mal, mal, mal » dirait un chanteur neuromantique. On discutait avec le boucher des Balkans alors que les écrans et les visages se fermaient devant les lutteurs à l’ancienne et les pythons brésiliens… Pourtant, tout n’était qu’une histoire de coups de poing. Les petites mains que levèrent les Bobos pour saluer Tyler. Serrez les doigts pour frapper ou vous allez vous faire mal… Connaissaient-ils seulement les bagarres à la sortie des bars. Le sang qui gicle sur le bitume sale, les coups de pute, les nez cassés, traquenards, plasma et vomi ? Le constat est simple pour Palahniuk et Durden, ceux qui sont capables de se foutre sur la gueule dans des sentines obscures sont les demi-dieux de la réalité nue. Il ne s’agit pas de mettre des casques azur sur des caves invisibles et bien nourris au petit lait militaire pour se croire héros de la veuve et de l’orphelin… Au temps jadis, Mademoiselle, le port d’Amsterdam, celui de l’Emmerdeur, avait une bonne dose de testostérone et de bière rance entre les dents, et ses marins dans la nuit noire, sentaient au moins la pisse. Comme les spectres du Hollandais Volant, Tyler Durden était invisible, mais sa réalité dépasse de très loin les acronymes pathétiques ! Fallait-il armer des Bukovski, des Joseph Roth, et tous les avatars de Durden pour sauver Srebrenitsa ? Peut-être pas, mais la légende du Saint Buveur aurait rejoint la geste du Saint Cogneur. Poltergeist erratique qui s’en va voler la main en bois du Capitaine Danjou pour la fixer à son moignon, et donner une gifle de plus au compteur bleu des coups de pieds au cul. A langue de bois, main de teck. Allons donc boire un canon, vider un galopin ou un Pernod au 33 rue de Tournon. Entonnons la marche de Radetsky. C’est ici que Joseph Roth rendit l’âme dans les bras de sa logeuse madame Alazard. Dans les bras du grand hasard, celui qui mourant, s’exclama à propos de son ami Ernst Toller, suicidé pendulaire : « Comme c’est bête de la part de Toller : se pendre maintenant alors que nos ennemis vont à leur perte ! » Se pendre, oui peut-être, mais pas avant de donner quelques gnons au hasard, dieu reconnaîtra les siens… N’est-ce pas madame Alazard ?

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