07 juillet 2006

Place des Victoires : Kenzo et son jardin préraphaelite.





















La place des
Victoires, par la magie d’un esthète, à été transformée en jardin anglais. C’est un écrin de verdure arraché à l’œuvre d’un peintre préraphaélite. Mon âme, tu le sais ma mie/N’aime que l’artificiel, chantait déjà le poète Théodore Hannon dans Les rimes de joie. C’est une vision anglo-arcadienne issue des rêves de Byron, Shelley, et des théories de John Ruskin et de William Morris. Il y a des tableaux vivants, comme une vision de Dante Gabriel Rossetti : Des mannequins sylphides aux robes exotiques de princesses syldaves, scythes ou ukrainiennes composent des bouquets rares comme des fleurs de Bactriane et de Sodgiane. Errant dans cette étrange campagne toscane, je capte des bribes de conversation emportées par le vent « Il faut pratiquer le lesbianisme, mais cela est très difficile, il faut prendre des cours... » Un vent chaud et humide venu de Missolonghi me fait tournoyer autour des macarons à la rose et au champagne. Des serveurs transportent des cages d’oiseaux avec d’étranges petits fours qu’il faut attraper comme de jeunes oisillons... On se croirait soudain dans l’univers de William Beckford, et je m’attends à croiser le sultan Vathek et sa troupes d’Eunuques et de Houris.
















Sans m’en rendre compte, j’ai dû m’approcher de la porte de Khartoum quand j’aperçois Gordon Pacha lui même, avec son célèbre fez rouge.

« Je suis fatigué me dit-il, il n’y a plus de filles de milliardaires à Paris. Je compte me rendre sur la côte des perles très bientôt. Le jeudi, c’est mon jour pour séduire les jolies filles.

-Pourquoi le jeudi ?

-Parce qu’après, elles partent en week end !

Gordon Pacha est un grand tacticien.

Je lui demande s’il a bu les petites bouteilles de jagermeister qui décorent son collier tribal.

-Je ne bois pas me répond-il

Je lui raconte que jadis, à l’ombre du Matterhorn, j’ai connu un homme qui à bu du jagermeister tous les jours pendant 20 ans.

-Et qu’est-ce qui lui est arrivé ? me demande Gordon Pacha.

-La vingt et unième année, il est devenu fou...

Je remonte circulairement la source du Nil quand j’aperçois le maître de cérémonie de Kenzo, Nicolas dal Sasso. Il ressemble à un un héros de Salgari, un Rajah Brooks ou un pirate des mers du sud. Il porte un hakama non traditionnel comme on imagine le dandy exotique Sandokan. La particularité magique du hakama est le don de glisser sur le sol, de se déplacer sans bouger. Nicolas dal Sasso ne marche pas, il évolue au sein de sa propre cathédrale en mouvement. C’est la rencontre de l’idée et de la forme. Joséphin Peladan ne disait-il pas « Il n’y a pas d’autres modes d’héroïser que de masculiniser les muses et de féminiser les Dieux : la proportion qu’on ajoute à cette mixture est indicible puisqu’elle constitue le génie. »


J’éprouve soudain le désir de m’allonger dans l’herbe et de lire Dante. Je suis dans un rêve éveillé, la fancie d’Edgard Poe. J'imagine voir des Tess, des Pandora et autres Lady Ada Lovelace. Et puis il y a tous ces Djinns venu du Rub al Khali, le désert rouge... Nicolas dal Sasso a laissé entrouvertes les portes de l’antimonde : Face Hunter, Carl, Otto, Minikiches Poliakov, Khaled, Alastor... C’est la valse des Djinns et autres marabouts. Des sociétés savantes néo victoriennes se créent. Nous évoquons les romans gothiques avec Franck Knigth, les rives de Montevideo et le cri de Maldoror. Plus loin, le Sâr Subnotal, surveille les nuages noirs qui apportent l’orage électrique. Un enfant angélique saute sur l’épaule de Nicolas dal Sasso qui l’élève vers le ciel comme le roi des Aulnes. Il parait que Marx, Bakounine et Garibaldi ont traversé l’Acheron pour une visite de courtoisie. C’est bien connu, les révolutionnaires aiment particulièrement les jardins anglais... De jeunes femmes alanguies sur le gazon, rient à gorge déployées dans une ambiance de doux marivaudage. Un sein blanc s’échappe d’un corset. Les robes deviennent étrangement transparentes à la lumière du crépuscule. Les couleurs du monde jouent les capricieuses et minaudent sous l’assaut des bulles de champagne. Au delà de la ligne des buissons j’aperçois soudain les ombres et les uniformes des gardes mobiles. Le songe préraphaélite de Kenzo ne durera que l’instant d’un rêve. En quittant cette île éphémère, nous aurons alors vieillis de plusieurs centaines d’années... Un poème de Nerval me revient à l’esprit... Un air très vieux languissant et funèbre qui pour moi seul à des charmes secrets

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