25 avril 2007

Daniele Tedeschi, photographe poète à la Galerie Plume

Pour le dernier vernissage, à saute moutons dans le Marais, la muse vénale m’attire dans les jupons de la galerie Plume. Là bas, officie et expose une figure de la nuit parisienne, Daniele Tedeschi, mi poulbot à l’ancienne, mi dandy à la coiffure digne de la description d’un légionnaire de Fiume par un voyageur anglais en 1919 (...) D’autres s’étaient laissé pousser d’énormes touffes de cheveux, longue d’un demi pied, qui ondoyaient le long de leur front(...). Daniele Tedeschi est donc un poète bohème à l’accent latin, un bock de bière à la main, un appareil photo dans l’autre. Paris, la ville lumière, celle des aubes difficile et du spleen des dimanches matins. Paris donc, devient un sentier de paillettes vers les ors des Bains Douches. Cette ancienne boîte de nuit à la mode, est aujourd’hui le repaire, sinon la maison du jeudi pour le poète. C’est là qu’il relance les passions oubliées à grands coups de spleen, et le marcheur bohème dessine inlassablement dans les rues de Paname un étrange labyrinthe ou il dépose ses cailloux blancs des contes de Grimm, ses petits cartels spleeniques attirant la jeunesse perdue vers les nuits ou l’on oublie le vendredi. C’est peut être aux cours de ses pérégrinations d’oiseau de passage que Daniele Tedeschi découvre ces endroits secrets, vieilles bâtisses abandonnées, et ruines étranges ou l’on croit entendre la musique d’Erich Zhann, cette terrifiante nouvelle de Lovecraft... Daniele Tedeschi est-il un amateur du reclus de Providence ? Quelques indices laissent supposer une véritable cohabitation avec la surnature : Un goût pour les bâtisses aux angles impossibles, des ruines industrielles qui laissent transparaître une réalité cyclopéenne, et des silhouettes féminines hiératiques, nues ou demi-nues, à moins que ce ne soit l’ombre de la lune qui les habille d’un frac de vampire. Les femmes de Daniele Tedeschi ressemblent à des cariatides, mais de celles qui vivent dans les jungles et les cités perdues. Ces femmes n’ont rien de la douceur alanguie des peintres impressionnistes, elles sont au contraire toujours prête à bondir ou à s’évanouir dans la perspective infinie. L’univers autour de ces prédatrices au désir d’appétence, semble apparemment figé, mais ce n’est qu’un trompe l’œil utile à une étrange chasse (à l'homme ?). Le photographe, à la fois reporter de guerre et entomologiste, traduit à chaque fois l’incertitude de la pénultième photo. La dernière, la photo impossible donc, étant ce tournoiement futuriste d’un tigre ou d’une balle perdue fracassant l’objectif. Mais Daniele Tedeschi est toujours à la limite des terres interdites, de ces Tchernobyl de l’art. On retrouve dans cette tension, ce razor edge, la vocation pré-expressionniste d’un Odilon Redon, mais cela n’aurait aucun intérêt si dans le détail d’une poutre dessinant un horizon géométrique nous ne retrouvions, soudain, les compositions non objectives du constructivisme russe. Daniele Tedeschi pousse ainsi la subtilité jusqu’à faire pencher le cadre, rétablissant artificiellement une angulation. Vieilles demeures passéistes et angles surnaturels ou constructivistes, femmes fatales, prédatrices ou dames blanches éthérées, les photos de Daniele Tedeschi, traduisent une intuition suprématiste, mais dans le sens ou l’envisageait Boris Vian lorsqu’il affirmait « Soyez un spécialiste de tout. L’avenir est à Pic de la Mirandole. Mirandolez(...) ». Et puis par un détour incertain, comme une filiation forcément subjective, je retrouve dans les intérieurs baroques des photogrammes de Daniele Tedeschi, cette étrange mélancolie des saloons de Sergio Leone, ces intérieurs lourds pesant de bois noir et d’ombres, qui contrastent soudain avec les lignes épurées des plaines écrasées par le soleil. C’est cette double ambigüité qui caractérise les œuvres de Daniele Tedeschi, cette impulsion à contrario impossible entre un passé nostalgique, détruit, mais survivant malgré tout dans les ruines de la saudade, et une impulsion vitale ou les corps semblent attendre l'envol hors des frontières de la réalité.

Galerie Plume
48 rue de Montmorency 75003


23 avril 2007

Perspective in Flight Archives : "Le monoplan du pape"- F.T Marinetti: extrait d'une poésie icarienne






















Le roman-poème du futuriste Marinetti influença l'aviateur poète Guido Keller. Illustré par la peinture "aeroplan" de Malevitch, voici un court extrait de cet évangile révolutionnaire à l'esprit " éternellement estudiantin" qui regarde vers les étoiles... Il s'agit de la synthèse futuriste d'un aviateur qui kidnappe le Pape afin de le jeter dans la mer Adriatique... Un monoplan, un aviateur fou, et un Pape en robe blanche qui chute de plus de 1000 mètre vers le bleu de l'océan... Quelle belle image !

"Je sens ma poitrine s'ovrir comme un grand trou
où tout l'azur du ciel, lisse, frais et torrentiel
s'engouffre avec délice.
Je suis une fenêtre ouverte, éprise de soleil
Et qui s'envole vers lui !
Qui donc peut arrêter encore
les fenêtres affamées de nuages
et les balcons soûls
qui s'arrachent ce soir aux vieux murs des maisons

pour bondir dans l'espace ,"

(Le monoplan du pape)


21 avril 2007

Sergueï Aleksandrovitch Essenine, le Jacques Rigaut soviétique...













Sergueï Aleksandrovitch Essenine, poète soviétique lyrique et provocateur, à la croisée d'un Rimbaud ou d'un Jacques Rigaut, s’est pendu désespéré, le 28 décembre 1925 dans sa chambre, à l’hôtel d’Angleterre’ à Leningrad. Il avait 30 ans... Et une vie de fêtes, de débauche et d'alcool, qu'il traînait derrière lui comme une une corde de pendu.

Serge Essenine -Extrait de La Confession d’un voyou


J'ai quitté mes steppes natales ;

C'est fini, fini sans retour,

Les feuilles des grands tilleuls pâles

Ne tinteront plus sur mes jours.

Oui, la maison sans moi se tasse,

Depuis longtemps, mon vieux chien dort ;

Dans les rues de Moscou, la mort,

Je le sais, me suit à la trace.

J'aime cette ville pourtant,

Si décrépite, s'embourbant,

Ville où l'antique Asie somnole

Comme étalée sur ses coupoles.

Quand le croissant me paraît trop

Lumineux, et qu'il m'ensorcelle,

Mes pas s'en vont vers mon bistrot

Toujours par la même ruelle.

Dans ce repaire, quel fracas !

Je bois, la nuit, dans les buées,

Avec des bandits la vodka,

Lis mes vers aux prostituées.

Mon coeur bat fort, mon mal s'aggrave...

M'oubliant, je dis pour finir :

"Comme vous, je suis une épave,

Sur mes pas pourquoi revenir !"

Oui, la maison sans moi se tasse,

Depuis longtemps mon vieux chien dort ;

Dans les rues de Moscou, la mort,

Je le sais, me suit à la trace...

(traduit du russe par Katia Granoff)

lissitzky : graphiste révolutionnaire chez les soviets













Lazar Markovich Lissitzky (1890-1941) (Лазарь Маркович Лисицкий), ou Lissitsky dit El Lissitzky (Эль Лисицкий), créateur du Groupe G qui assure le trait d'union primordial entre l'abstraction révolutionnaire soviétique et les recherches artistiques de l’avant-garde berlinoise. Il se rallie au mouvements Bauhaus et de De Stijl en 1923. Il est le créateur du « premier drapeau soviétique ».


13 avril 2007

"Raison Basse" -collectif- Caméras animales 2007

« Raison Basse » comme l’indique la quatrième de couverture est un syntexte, c’est à dire une solution concentrée de textes et de pensées tout azimut. C’est un livre que l’on ouvre au hasard, par une sorte de divination taoïste. La numérotation parait en outre bien peu adaptée à ce vortex d’écriture subjective. La lecture peut en être difficile, ardue, énigmatique, énervante ou passionnante. Un peu à la manière des points vitaux de la médecine asiatique, chaque texte englobe toutes ces définitions suivant l’heure et le moment. C’est un livre qu’on ouvre donc par curiosité, et par désir de bourlinguer entre les 30 auteurs inclassables, venus des amas gazeux du net et des écritures déviantes. C’est aussi un livre que l’on referme souvent, puis on y revient, attiré par une forme de surnature qui émerge de cette raison basse lycanthrope. Nous avons affaire à un objet littéraire élitiste, et ce mot doit être compris en opposition avec les rayons des supermarchés. Raison basse avance en tapinois, rampe dans le réseau de fil de fer, tente d’éviter les mines. Dans ce no man’s land des écritures déviantes, inutile de chercher une direction entre le lettrisme, la net écriture, et les classiques. J’apparais en outre dans cette dernière catégorie, gémellaire du dictionnaire avec une petite pointe d’humour nanochévien. Raison basse n’est pas un livre hiérarchisé et policé, c’est au contraire une association de malfaiteurs, dans le sens de ces grandes compagnies de routiers du moyen âge qui s’aggloméraient par opportunité. C’est ce qui se rapproche le plus d’une île de la Tortue littéraire, d’une Arcadie de Frankenstein entre surmâles et suffragettes, lycanthropes et cybersdogs.

"Raison Basse" -collectif- Caméras animales 2007


07 avril 2007

Oltretorrente et les âmes brûlées

















Ce livre de Pino Cacucci raconte la résistance de la ville de Parme en 1922 contre les 20 000 fascistes commandés par l’incompétent Roberto Farinacci puis le flamboyant Italo Balbo. Malgré les ordres de Mussolini, les escouades (squadre) fascistes se cassèrent les reins sur les barricades de la rue Oltretorrente défendue par les arditi del popolo, ces troupes de chocs issues des compagnies hardies, ou compagnies de la mort de la première guerre mondiale. Le livre nous fait redécouvrir ces héros oubliés comme Guido Picelli, ou Antonio Cieri, et tous ces anonymes qui osèrent porter un terrible camouflet au fascisme : sa première défaite. Ces arditi del popolo continueront leur combat en Espagne dans les brigades internationales de la colonne Lénine du POUM.

Zone grise de l’histoire, reléguée dans les terres de l’oubli, la résistance de Parme peut aujourd’hui être considéré comme le premier combat de la seconde guerre mondiale...
Là ou des Etats, des gouvernements et des hommes politiques se sont fourvoyés dans un imbécile pacifisme neutraliste face aux fascismes européens, des hommes seuls armés de grenades, de poignards et de pistolets, ont ouvert la voie désespérée vers une victoire future. Pino Cacucci cite le poète Essenine à propos des défenseurs de Parme « Avec l'ardeur on brûle la vie plus rapidement, mais c'est pour resplendir plus intensément. ». On pense alors au Feu Follet de Drieu la Rochelle, à ces hommes jeunes de l’entre deux guerre qui ont brûlés leurs vies tels des papillons s’approchant trop près de la flamme de l’existence. Et ce feu follet, n’est en fin de compte que l’embrasement de l’âme à l’ultime instant. Mais est-ce vraiment la fin quand la lumière de ces âmes brûlées, depuis les nuits de Fiume, les barricades de Parme, les cafés de Paris, ceux de Moscou ou de Madrid, nous parviennent encore comme la lumière des étoiles disparues ?


Oltretorrente - Pino Cacucci-Christian Bourgois Editeur (2005)



06 avril 2007

Nose Dive On The City



















Nose Dive On The City- Tulio Crali (1939)


Tulio Crali, mort en 2000, fut certainement le dernier grand peintre futuriste. On retrouve dans sa peinture les concepts de Fedele Azari dans "Perspective in Flight". Ce tableau peint en 1939 sera une source d'inspiration pour de nombreux artistes américains du Pop Art. Mais la technique de déstructuration du cockpit, sa disparition fusion au sein des grattes-ciel, ne sera jamais égalée.


02 avril 2007

Jean-Pierre Valette, Guido Keller et l'aéro-futurisme

















Belle tête chauve de futuriste ou constructiviste russe à la Rodchenko, Jean-Pierre Valette travaille sur le concept de « l’aérien ». Il réalise ainsi, ou disons plutôt, il rêve ses sculptures au gré de ses dérives entre la Science Fiction et le futurisme. Ses étranges constructions organiques de fer et de plâtre semblent issues d’une vie stratosphérique planant dans les océans gazeux de Jupiter. Jean-Pierre Valette doit avoir lu ses grands classiques de la S-F avec Sylverberg, P.K Dick et Franck Herbert, en s’essayant ainsi à la tentative d’émanticipation (entre anticipation et émancipation...) Il s’agit bien sûr d’un envol encore timide, mais qui détermine à la manière des premiers aéronautes, un désir de s’élancer vers le bleu du ciel, échappant aux monades urbaines et rêvant au plus oultre.

On voit ainsi chez Jean-Pierre Valette, une volonté de revenir aux premières expérimentations des futuristes avec l’avènement de l’aero-futurisme à la fin des années 1920. Mais cette tentative icarienne de l’art avait été abandonnée pour des considérations plus terriennes. L’art revenait sur terre. Seul en son temps le poète pilote Guido Keller avec l’association artistique du Futurblocco et le futuriste Azari, avait imaginé « la conquête du ciel » un spectacle-sculpture dynamique avec plus de 500 aéroplanes produisant leur propre musique avec leurs moteurs. Dans les années 1925, en phase avec les idées de Keller, le compositeur américain « bad boy of music » George Antheil composera son « ballet mécanique »(message to Mars) en utilisant des moteurs d’avions. Dans sa dernière tentative icarienne, Marinetti fait paraître le manifeste de l’aero-peinture futuriste en 1929, ou il s’agit de d’exalter « l’immense drame visuel et sensoriel du vol ». Mais tout ceci malgré les belles envolées poétiques, ne resta qu’une mise à plat picturale de la sensation, là ou Guido Keller rêvait de sculpter le ciel. Mais Keller était par définition un artiste sans œuvre, puisque toute construction imaginaire devait se délier et se déliter dans l’espace et ne jamais laisser de trace, car la vie ou plutôt le concept de « cité de vie » et celle du bal des ardents, était l’Art, cet espace, cette cathédrale en mouvement ou l’homme ivre qui tournoie sur une piste de danse, s’élève et va cogner sa tête de fer contre les mille points de lumière de la voûte du ciel.

L’utopie futuriste, emportée par les compromissions politique set l’abandon du modèle révolutionnaire, fit de l’aéro-peinture, une singulière étape, un sursaut vite étouffé, au sein d’un mouvement moribond. On se demande si le Guernica de Picasso ne fut pas le coup de grâce porté à l’aéro-peinture, mais aussi ce qui est plus grave, la négation de l’aéro-futurisme de Keller, et l’impossibilité après Picasso, de projeter l’art vers les étoiles...

L’art moderne s’est depuis longtemps ritualisé dans une conception terrienne et chtonienne qui conduit de Picasso jusqu’aux « émasculations artistiques » des actionnistes viennois. Pourtant, entre temps, quelques singuliers artistes ne suivront pas la voie Appia tracée par le génial peintre espagnol, et nous voyons Yves Klein qui se réapproprie le bleu du ciel de Bataille mais aussi l’idée d’un saut mystique dans le vide. Alors que l’artiste aviateur Joseph Beus, véritable épigone de l’idée kellerienne du rire et de l’envol, ouvre une porte, qui sera vite refermée par l’art contemporain. On lui préféra un art moins joyeux, plus galeriste, plus matérialiste avec le pop art, l’art vidéo et tous ses avatars ne s’élevant jamais au delà des pâquerettes. L’art contemporain, englué dans l’humus, est ainsi devenu une serre bourgeoise et réactionnaire, ou poussent de jolies orchidées industrielles, aussi obscènes que des bouquets de fleurs sous cellophane vendus en dollars.

Nous voudrions dès lors voir s’élever sous les volutes de fer et de verre des Grands Palais, des œuvres volantes, aériennes, papillonnant, et délivrant l’homme de la malédiction des bunkers et de l’attraction terrestre. Un art qui s’élève parmi les rêves de pierre des cathédrales, victoires de Samothrace volantes ou Jocondes gonflées à l’hélium, explosant dans la noosphère ou allant se perdre dans l’immensité du cosmos.






















perspective in flight - Fedele Azari-1926



Voir l'expo de Jean-Pierre Valette :

Galerie Artcore / Johan Tamer-Morael
40 rue de Richelieu
75001 Paris
T +33 1 47 03 09 60
E contact@artcore.fr
Jean Pierre vallette du 29 Mars au 27 Avril